Vendredi 9 février 2018, le 1er ministre communiquait ses décisions sur la réforme de l’apprentissage, suite à la concertation ponctuée par le rapport de Sylvie Brunet. Pour le SNUEP-FSU, ces arbitrages démasquent explicitement le projet du gouvernement qui est de sacrifier la formation professionnelle des jeunes pour répondre aux exigences des organisations patronales. Contrairement à ce qu’il prétend, l’intérêt et l’avenir des jeunes, la lutte contre le chômage ou encore celle contre le décrochage scolaire ne sont aucunement sa priorité. Ses objectifs sont clairs : tendre vers l’extinction progressive du service public de la formation professionnelle et en finir avec les diplômes pour créer un salariat encore moins armé face aux offensives du patronat. Ces choix sont irresponsables car ils vont fragiliser les parcours scolaires de tou·tes les jeunes et mettre en péril leur avenir professionnel. Les missions des personnels seront elles aussi fortement modifiées dans un contexte où il y a urgence à redonner du sens à l’investissement et au travail au quotidien des enseignant·es.
Voici les analyses du SNUEP-FSU sur les mesures qui nous concernent le plus directement.
Augmentation de 30 € par mois pour les apprenti·es de 16 à 20 ans
Il est peu probable qu’à elle seule, cette mesure provoque une exacerbation des volontés d’orientation en apprentissage chez les jeunes concernés. Néanmoins, alors que les apprenti·es se voient augmenté·es, les jeunes scolarisés en voie scolaire ne perçoivent toujours pas d’allocation d’étude, comme le revendique le SNUEP-FSU. Pourtant, certains jeunes n’ont pas d’autre solution que de contribuer à l’équilibre budgétaire de leur foyer. C’est davantage la possibilité d’une rémunération plutôt que le type de formation qui conditionne leur choix.
Aide de 500 € pour le permis de conduire pour les apprenti·es de 18 ans et plus
Cette mesure est clairement plus incitative que la précédente, pour la jeunesse. Ainsi, une concurrence déloyale est créée entre voie scolaire et apprentissage. Le SNUEP-FSU rappelle que le public scolarisé dans la voie professionnelle sous statut scolaire est majoritairement issu de CSP défavorisées, et que, dans ces conditions, il est nécessaire d’appliquer les mêmes aides pour les élèves de LP. N’oublions pas que ces dernier.es peuvent aussi avoir besoin d’un permis de conduire pour se rendre sur leur lieu de PFMP !
Par ailleurs, cette mesure ne répond que très partiellement au problème de mobilité des jeunes bien souvent obligés de se déplacer entre le domicile, le centre de formation et l’entreprise situés géographiquement sur des lieux différents.
Prolongation de 6 mois de la formation en CFA après une rupture de contrat
Cette mesure est révélatrice du manque d’ambition pour les jeunes et de la servitude du gouvernement envers les entreprises. C’est une sorte de « salle d’attente » qui est institutionnalisée ici. Plutôt que de s’attaquer aux entreprises qui stoppent le parcours de formation de 4 jeunes sur 10 en rompant leurs contrats d’apprentissage, il crée un dispositif pour tenter de masquer ces chiffres alarmants. Pour le SNUEP-FSU, sécuriser les parcours des jeunes, c’est leur permettre un accès continu aux savoirs généraux et professionnels pour obtenir un niveau de qualification par un diplôme. Et cette sécurisation scolaire relève de la responsabilité de l’Etat. Cette mesure est donc dangereuse car nombreux seront les jeunes qui risquent d’abandonner faute d’enseignement à la hauteur de leurs besoins.
Cette mesure est de plus contradictoire avec le financement au contrat (voir plus loin) puisqu’un financement spécifique sera mis en place pour ces jeunes sans contrat. Elle vise à permettre aux CFA de garder les jeunes en leur sein. Elle va donc cloisonner les deux voies de formation (apprentissage et scolaire) permettant encore moins aux jeunes de retourner en formation sous statut scolaire. Elle risque d’augmenter le nombre de jeunes sans qualification.
Pré-apprentissage pour celles et ceux qui ne trouvent pas de contrat
Cette mesure crée elle aussi un « sas d’attente » pour les jeunes qui désirent aller en apprentissage mais qui ne trouvent pas d’entreprises pour signer un contrat. Alors qu’il faudrait proposer une réelle formation à l’ensemble des jeunes, le gouvernement préfère créer des pseudo pré formations pour les « demandeurs d’apprentissage » dans la même logique que celle appliquée aux demandeurs d’emploi à pôle-emploi. Ce pré-apprentissage se déroulera "prioritairement" dans les CFA puisque l’objectif est de les alimenter. Il est à craindre que ce dispositif se développe avant 16 ans et impacte aussi les lycées avec la suppression à terme des 3 PEP. Par ailleurs, les contenus de cette "formation" seront proches d’un formatage aux "savoir-être" attendus par le patronat et risquent de se limiter aux savoirs professionnels permettant au jeune d’être productif dès son arrivée dans l’entreprise. Là encore, nous voyons bien qu’en matière d’apprentissage l’objectif du gouvernement est l’employabilité immédiate et non la mise en œuvre d’un cursus de formation ambitieux pour les jeunes.
Information des jeunes et des familles ; orientation professionnelle confiée aux régions
Pour la première fois, le gouvernement décide de déconnecter orientation et affectation. Il choisit de confier l’information sur les métiers aux régions. Il est à craindre que l’orientation professionnelle soit pensée en termes d’illusoire adéquation emploi-formation pour espérer répondre aux besoins locaux des entreprises. A terme, cela nécessitera que les régions puissent aussi gérer l’affectation des élèves et donc prennent la main sur l’ensemble de l’offre de formation. Cette mesure va exacerber la concurrence entre apprentissage et voie scolaire. Les régions disposeront ainsi d’un nouvel outil permettant de canaliser les flux d’élèves vers les formations qu’elles auront jugées utiles de prioriser, au détriment des autres et de la volonté des jeunes.
De plus, nous ne pouvons accepter que dans les informations qui seront données aux familles et aux jeunes sur les filières en apprentissage, ne figureront ni le taux d’accès au diplôme, ni le nombre de ruptures de contrats sur chacune des années de formation.
Journées annuelles d’information
Les régions seront chargées d’organiser des journées d’information à destination des élèves de 4ème, 3ème, 2nde et 1ère. Cela leur permettra de faire une promotion outrancière de l’apprentissage au détriment de la voie scolaire, vers les métiers qu’elles auront pressentis localement "en tension". Il n’est pas anodin de constater que les élèves déjà orienté·es et scolarisé·es en lycée seront concerné·es par ces journées, sans nul doute pour les inciter à terminer en apprentissage leur parcours vers le diplôme…
Apprentissage jusqu’à 30 ans (au lieu de 26 ans actuellement)
Cette mesure est présentée comme un vecteur de développement de l’apprentissage dans le supérieur. Pourtant, certains dévoiements pouvant contribuer à retarder encore davantage l’entrée des jeunes dans l’emploi non précaire sont à craindre.
Financement au contrat
Le financement au contrat imposera aux CFA de prendre coûte que coûte des apprenti·es sous contrat, quelques soient les conditions d’accueil et de formation dans l’entreprise. Surtout, il instaure le principe de marché dans la formation professionnelle initiale. Les LP publics accueillant des apprenti·es seront certainement aussi concerné·es. Cela peut-être la première étape d’une future privatisation de la formation professionnelle initiale.
Développement des CMQ et UFA dans tous les LP
L’implantation d’une Unité de Formation en Apprentissage dans tous les lycées professionnels inquiète particulièrement le SNUEP-FSU. Cette implantation ne saurait être sans conséquence sur les conditions de travail et le statut des PLP qui devront intervenir dans ces UFA. Les temps en classe et en entreprise seront différents selon si les jeunes sont élèves ou apprenti·es. Ce sera aux enseignant·es d’adapter leur emploi du temps, leur progression pédagogique, etc. en fonction des différents publics. De plus, les responsabilités ne sont pas les mêmes en ce qui concerne la gestion de la discipline. Les statuts des jeunes seront différents : les élèves relèvent des dispositifs des établissements adossés au code de l’éducation quand les apprentis relèvent du code du travail. Cette implantation instaure aussi une concurrence interne aux établissements entre les filières sous statut scolaire et celles proposées par l’UFA.
Le 1er Ministre entend également développer les Campus des métiers et qualifications (CMQ), pour, selon lui, "favoriser les allers/retours entre les lycées professionnels et les CFA". Outre le fait que les CMQ sont créés et développés pour répondre principalement aux besoins économiques locaux, sans se préoccuper réellement des attentes et des parcours des jeunes en termes de formation, le développement de telles "vitrines" ne pourra qu’être préjudiciable aux autres établissements à proximité qui, soit risquent d’être siphonnés de leurs moyens de fonctionnement et de leur public, soit d’être réputés comme des « pis-aller ». Pour le SNUEP-FSU il est pour le moins aberrant et irrationnel que le ministère en charge du service public de la formation professionnelle soutienne et renforce ainsi des dispositifs et des structures qui dévalorisent ouvertement les lycées professionnels dont il a la charge.
Rédaction des référentiels par les Branches Professionnelles
La rédaction des référentiels d’activités professionnelles (RAP) et de compétences va être confiée aux seules branches professionnelles qui codécideront avec l’État des règlements d’examen et des référentiels de formation. Outre le fait que de nombreuses branches sont déjà en difficulté quand il s’agit de rédiger de tels documents pour les seuls certificats de qualification professionnelle (CQP) les concernant, le SNUEP-FSU dénonce fermement la perte d’ambition ainsi affichée pour les diplômes délivrés par l’Éducation nationale. Les employeurs souhaitent limiter les savoirs, notamment ceux liés à la culture générale et citoyenne, au profit de compétences qu’ils prétendent transversales, souvent floues, et centrées sur leurs besoins immédiats.
Condition de rupture du contrat d’apprentissage
En modifiant les conditions de rupture du contrat d’apprentissage, le gouvernement s’expose à une augmentation de ces ruptures dans les années à venir, ce qui fragilisera davantage le parcours de formation de ces jeunes. Ces mesures risquent de multiplier les effets d’aubaine pour les entreprises qui préféreront « embaucher » des apprenti·es plutôt que des jeunes salarié·es déjà formé·es. Cette mesure va mettre la pression sur les apprenti·es, les obligeant à accepter encore d’avantage des conditions de travail dégradées.
Modification de la réglementation du travail pour les apprenti.es mineur.es
La réglementation des conditions de travail sera revue pour déroger aux 35 heures et permettre aux apprenti·es de travailler sur des horaires atypiques – notamment dans le bâtiment et dans l’hôtellerie restauration. Outre le fait que cette mesure soit grave et se pose en régression absolue du point de vue du travail des mineurs et des lois arrachées au patronat depuis 1841, elle va aussi entraver la sécurité des jeunes dans les entreprises. Les apprenti·es sont déjà 80 fois plus exposé·es aux accidents du travail que les lycéen·nes professionnel·les, et toute aggravation des conditions de travail des apprenti·es ne pourra qu’accroître ce phénomène.
Modulation de la durée du contrat d’apprentissage
Embauche des apprenti·es et début de formation à tout moment dans l’année
Pour le SNUEP-FSU, ces 2 mesures sont indissociables et vont contribuer, notamment en raison de la présence d’une UFA dans chaque LP à détériorer les conditions de formations des jeunes et les conditions de travail des personnels. Des difficultés risquent d’émerger aussi entre les jeunes. A la mise en œuvre de cette mesure, ils/elles seront certainement beaucoup à être attiré·es par la rémunération proposée pour les formations en apprentissage. Celles et ceux qui auront les « codes » seront recruté·es par les entreprises, les autres prendront comme une sanction le fait de rester en formation sous statut scolaire. De plus, malgré la nouvelle possibilité offerte de poursuivre 6 mois sa formation en CFA en cas de rupture de contrat, une partie des 4 jeunes sur 10 qui verront leurs contrats rompus seront ré-intégré-es dans les classes des LP. La voie scolaire est ici pensée comme « une roue de secours » de l’apprentissage pour, une fois de plus, masquer les nombreux décrochages de l’apprentissage. Enfin, cette mesure va aussi avoir des conséquences sur les modalités de certification des diplômes professionnels puisqu’elle remet en cause l’organisation même des examens. Le ministre a déjà annoncé que, désormais, la certification des CAP s’opérera uniquement en contrôle continu – sans évidemment avoir pris le temps de la concertation, ni avec la profession, ni avec les organisations syndicales. La formation professionnelle des jeunes sera donc dégradée dans sa globalité.
Ouvertures/fermetures de formations "sans limite" dans les CFA
Chaque CFA pourra adapter chaque année ses formations en fonction de la demande des entreprises, pour répondre à leurs besoins et attentes, sans autorisation administrative.
Pour le SNUEP-FSU, une telle mesure ne peut, là aussi, qu’exacerber la concurrence entre les CFA et les LP, et contribuer à la disparition de nombres de formations sous statut scolaire.