Ce petit ouvrage utile, publié par le Centre Hubertine Auclert, dresse un panorama du traitement des femmes dans les manuels de français. Le constat est édifiant ! Elles sont sous-représentées, en tant qu’auteures, créatrices, journalistes, philosophes mais en plus quand elles sont représentées, c’est toujours comme épouse, amante ou muse… Compte-rendu de cette enquête.
Ce petit ouvrage utile, publié par le Centre Hubertine Auclert, dresse un panorama du traitement des femmes dans les manuels de français. Le constat est édifiant ! Elles sont sous-représentées, en tant qu’auteures, créatrices, journalistes, philosophes mais en plus quand elles sont représentées, c’est toujours comme épouse, amante ou muse… Compte-rendu de cette enquête.
Critère d’étude
Les manuels de français étudiés sont uniquement ceux de seconde, car en première les professeurs s’affranchissent beaucoup des manuels en raison du baccalauréat.
Deux critères d’analyse ont été retenus pour cette enquête : l’analyse quantitative et l’analyse qualitative. L’angle d’attaque de l’analyse quantitative est même plutôt vu à la baisse puisqu’a été compté une fois par double page et par type de document le nombre de fois où les femmes et les hommes apparaissent.
L’analyse qualitative s’attache, elle, à observer l’association entre présence de célébrités féminines et stérétotypes féminins. L’attention est également portée sur l’absence parlante de recontextualisation historique, qui permettrait de souligner l’exclusion des femmes des domaines de la création, et ce à travers les siècles. Les femmes ont pu également jouer un rôle dans la diffusion des idées – notamment celles des Lumières dans les Salons – et il sera alors montré si ce rôle est passé sous silence ou pas.
La place et le rôle des femmes dans l’histoire littéraire et artistique
Le constat est accablant : il y a une extrême invisibilité des femmes dans l’ensemble des manuels scolaires étudiés. Sur les 13 192 occurrences d’auteur-e-s ou d’artistes, seuls 6,1% sont des femmes, contre 93,9%. Même dans les professions où le nombre de femmes est aujourd’hui à peu près équivalant à celui des hommes, seulement 27% des occurrences de journalistes cité-e-s sont des femmes, contre 72% pour les hommes.
De surcroît, quand des femmes apparaissent, elles sont souvent la femme de, ou l’amante de. Ainsi, Madame Lavoisier avait certes un époux épatant, mais elle était elle-même femme de science, artiste-peintre et illustratrice ! Louise Collet ne fut pas que la confidente de Flaubert, mais aussi poétesse. George Sand n’apparaît que comme maîtresse de Musset ! Et enfin, Elsa n’a que ses « yeux » pour pleurer l’absence de mention de sa vie d’écrivaine et traductrice. Autre exemple frappant : Louise de Coligny-Châtillon fut une des premières aviatrices françaises mais…elle n’apparaît que comme muse et amante d’Apollinaire.
L’exclusion volontaire des femmes de la littérature n’est pas démontrée. Il était difficile pour elles de se faire publier, elles se faisaient souvent attaquées parce que femmes, comme en témoigne l’expression « bas-bleu » qui désignait, au XIXème siècle, les femmes de lettres. Et aujourd’hui, après des années de combats féministes, 16% seulement des prix littéraires attribués depuis le début du XXème siècle concernent des écrivaines.
Dans le domaine artistique, même constat accablant.
Beaucoup de femmes ont été des auteures et des artistes célèbres en leur temps, mais elles ont été mises au ban des canons classiques. Les manuels, au lieu de les réhabiliter, perpétuent cette inégalité.
La représentation du féminin dans les manuels de français
Lorsque les femmes sont présentes dans les manuels, elles le sont toujours à travers le regard des hommes, et les stéréotypes ne sont jamais remis en cause (par les questions des exercices par exemple). Bref, les représentations émancipatrices des femmes sont pour le moins absentes.
Quand les femmes occupent une place centrale, elles « sont dites » plutôt qu’elles ne « se disent » : aussi sont-elles l’objet de tous les désirs, de toutes les louanges, de tous les fantasmes des poètes mais…elles ne sont jamais elles-mêmes poétesses ! Elles sont objets, plutôt que sujets.
Avec les héroïnes, le problème est différent : ne sont pas rappelés les rôles sociaux qui étaient attribués aux femmes à telle ou telle époque donnée et ne sont donc pas décryptées les conséquences que peuvent avoir ces constructions sociales datées sur les personnages de fiction.
Enfin, les termes utilisés dans les manuels ne sont presque jamais féminisés. Or, on sait que le fait de ne pas présenter des métiers au féminin limite l’appropriation des modèles sociaux et professionnels par les jeunes femmes.
Il est rare que soit précisé « les hommes et les femmes des Lumières », car les manuels se contentent la plupart du temps de la formulation « les hommes des Lumières » ambiguë et soi-disant universelle.
Les rapports sociaux femmes-hommes ponctuellement traités
La petite enquête du Centre Hubertine Auclert choisit, en guise de dernier chapitre de s’intéresser aux sept manuels (sur dix-sept !) qui ont fait l’effort de s’interroger sur les rapports sociaux hommes-femmes.
Ainsi des manuels interrogent-ils les élèves sur les conditions féminines à un siècle donné, remettent en cause la dépendance de la femme à l’égard du mari dans les années 1950, ou reviennent sur les réformes votées durant la présidence de Valérie Giscard d’Estaing (IVG, secrétariat à la condition féminine, divorce par consentement mutuel).
L’éducation des filles ou encore les violences à l’égard des femmes sont quelque peu abordées. Position critique à l’égard de la vision de l’instruction féminine par Fénélon, au contraire insistance sur le combat de George Sand en faveur de l’éducation des filles, mariage forcé dans Indiana ou chez Molière sont autant de thèmes qui apparaissent discrètement, mais sûrement dans nos manuels de français. La représentation des femmes dans la publicité est intelligemment questionnée dans un manuel de filière professionnelle.
L’objet d’étude « genres et formes de l’argumentation au XVIIème et XVIIIème siècles » pourrait être davantage investi pour traiter de la question de l’égalité entre les textes, avec Olympes de Gouges et sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Poulain de la Barre ou encore Condorcet (plaidoyer pour l’égalité politique en 1790).
Marie de Gournay, Aphra Behn, Antoinette des Houlières, Marie-Catherine de Villedieu, Delarivier Manley, Susanna Centlivre, Louise d’Épinay, Marie-Jeanne Riccoboni sont autant de femmes qui valent la peine d’être connues et étudiées.
Pour conclure, les manuels scolaires renforcent l’exclusion des femmes, en leur ôtant toute attribution de génie ou en les sous-représentant. Beaucoup ont créé et écrit à travers les siècles, mais elles n’ont pas droit de cité – ce qui n’est pas montré dans les manuels par le biais d’une contextualisation exigeante. C’est un paradoxe ! En effet aujourd’hui, les études littéraires sont en grande majorité féminine. Enfin, un effort, reste à faire pour féminiser les termes utilisés, mais aussi…les regards !
Plus d’informations :http://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/la-representation-des-femmes-dans-les-manuels-scolaires-de-francais-etude
Texte intégral : http://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/images/etude_2013_francais_cha_web.pdf