La recherche et l’enseignement supérieur au cœur du débat
Pour redonner sens à la démocratie et au progrès humain.
Par Hervé Christofol Secrétaire général du Snesup-FSU et Marc Delepouve Auteur d’ Un projet de gauche pour la recherche en Europe (Éd. du Croquant)
Les marchés mondiaux et les entreprises transnationales exercent une pression toujours plus intense sur les sociétés humaines. Le savoir n’y échappe pas. De sa création par la recherche à sa diffusion par l’enseignement et l’information, étape après étape, le savoir est mis au pas, dénaturé, voire dévoyé. Dans ce contexte, le 15 mars 2017, la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques a lancé une campagne contre la précarité dont elle dénonce l’impact néfaste sur le progrès scientifique et humain. Orientés par des agences d’évaluation, contraints au recours au financement par appels à projets concurrentiels (en raison de la baisse des financements directs de l’État), et dirigés par des conseils où la place des élus représentant les personnels est de plus en plus réduite, les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche développent une précarité qui participe à une démarche de soumission générale des services publics du savoir. Dans le même temps, en raison de la mondialisation des marchés, des problèmes environnementaux globaux, du développement d’Internet… les enjeux mondiaux et les interactions entre les nations ont acquis une importance majeure. L’humanité est face à une hypercomplexité en évolution extrêmement rapide. La recherche a un rôle vital à y jouer. Analyser et comprendre cette complexité et diffuser les résultats obtenus dans la société. Contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre de solutions aux problèmes sociaux, sanitaires et environnementaux, allant d’avancées technologiques appropriées jusqu’aux transformations du système économique, social et politique. Contribuer à la vie démocratique et à la pensée émancipatrice. Mais cette feuille de route se situe aux antipodes des projets de la plupart des candidats à l’élection présidentielle.
Avec 8 millions de chercheurs (selon l’Unesco), les capacités mondiales de recherche sont plus importantes que jamais. Celles-ci, y compris leur part publique, sont massivement mises au service de l’affrontement économique entre les entreprises et entre les territoires (via la spécialisation « intelligente » des régions, la restriction de la recherche aux niches d’« excellence », etc.). D’où un énorme gâchis, voire une utilisation à l’encontre des biens communs de l’humanité et de la démocratie. Ainsi, le 9 novembre 2016, la Cambridge Analytica (filiale du groupe britannique Strategic Communication Laboratories) déclara avoir joué un rôle fondamental dans la victoire de D. Trump, grâce à ses chercheurs et à ses compétences dans l’analyse des données (puisées sur Internet) et l’influence des comportements. Elle affirme avoir identifié les électeurs indécis et communiqué vers ceux-ci sur leurs sujets de préoccupation. Ce sont de dignes successeurs d’Edward Louis Bernays, qui conceptualisa en 1928 dans l’ouvrage Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, les techniques qui permirent de convaincre les Américains de s’engager dans la Première Guerre mondiale au profit du lobby militaro-industriel.
Il est urgent de libérer la recherche et l’ensemble des activités humaines de l’emprise des entreprises transnationales. C’est une condition pour redonner sens à la démocratie et au progrès humain.