Le sens d’une commémoration
Le 18 mars 1962, les accords d’Evian mettaient fin à 8 années de guerre en Algérie. Ce conflit emblématique de la décolonisation a fait des centaines de milliers de morts et failli emporter la démocratie en métropole. Avant d’obtenir que le régime gaulliste accepte de négocier (n’oublions pas que De Gaulle dirige le pays durant la moitié du conflit, entre 1958 et 1962 et qu’il a pris le pouvoir sur des positions pro-Algérie française), les forces favorables à la paix ont affronté une répression féroce, symbolisée par deux massacres :
-le 17 octobre 1961, des centaines de manifestants algériens qui bravent le couvre-feu sont tués par la police de Paris,
-le 8 février 1962, 9 manifestants pacifistes, syndiqués à la CGT et membres du PCF pour 8 d’entre eux, sont tués devant le métro Charonne.
La puissante réaction au massacre de Charonne (un million de manifestants, grève générale en région parisienne) démontra que l’opinion publique avait basculé du côté de la paix, et accéléra la conclusion de négociations qui traînaient en longueur avec le FLN. Il s’agit donc de commémorer autant le « massacre d’État » que le tournant de la guerre . Et de réfléchir aux risques de récidive…
La FSU participe pleinement aux commémorations organisées pour cet anniversaire, parce que les enseignants ont un rôle particulier à jouer pour transmettre cette histoire, et parce qu’elle est l’héritière de la section de Seine & Oise de la FEN, qui avait appelé à la manifestation du 8 février 1962 . Quelle position adopter pour le syndicalisme enseignant ?
L’attitude face au colonialisme fait alors débat au sein du syndicalisme enseignant, à l’époque dominé par la Fédération de l’Éducation Nationale.
La majorité de la FEN, la tendance autonome (ancêtre de l’UNSA éducation), défend une colonisation de progrès, critiquant les gros colons, mais pas les pieds noirs. Notons que la FEN dispose de sections en Algérie, qui font entendre la voix de leurs membres, inquiets pour leur avenir et fiers des services rendus aux algériens. Cependant, avec le durcissement du conflit, une bonne part des enseignants locaux ont quitté le syndicat. La position de la FEN ne change pas, parce qu’elle réfute l’alliance du FLN avec les Oulémas musulmans, au nom de la laïcité. Elle défend l’œuvre de l’école républicaine en Algérie, oubliant que seule une minorité des autochtones en a profité. Au fond, la direction du Syndicat National des Instituteurs se reconnaît dans les deux faces de Jules Ferry, l’homme des lois scolaires comme de la colonisation … Durant toute la guerre, le SNI et la FEN défendent inlassablement l’idée d’une grande négociation, incluant aussi bien les combattants du FLN que les pieds noirs et les autres partis. En soi, cette idée d’une « conférence de la table ronde » était intéressante. D’une part, elle permettait une indépendance tenant compte de la minorité européenne, qui était attachée à l’Algérie et constituait un atout pour elle. D’autre part, elle donnait un rôle aux partisans du vieux leader nationaliste algérien Messali Hadj, dépassé par le FLN. Si cette négociation avait été possible, elle aurait évité la dérive dictatoriale du FLN, qui lança sur le sol français une guerre fratricide contre les messalistes, au prix de milliers de morts. Mais dans les années 1960, le FLN s’est imposé comme le seul belligérant, et ne pas reconnaître cette réalité revenait à allonger encore la durée des négociations, et donc des hostilités. Précisons que le SNES et le SNET défendent une position plus combative au sein de la tendance autonome.
En revanche, les tendances minoritaires Unité & Action et Ecole Emancipée (qui ont fondé la FSU) se distinguaient par une critique sans concession de la colonisation. Des nuances sont perceptibles sur l’idée d’indépendance de l’Algérie. Unité & Action, souvent proche à cette époque des positions du PCF, dénonce depuis longtemps la situation de la population, se prononce pour un enseignement en arabe. Elle parle de droit à l’indépendance et n’insiste sur l’idée d’indépendance totale que lorsqu’il devient clair que la majorité des algériens a basculé en ce sens. L’Ecole Emancipée se prononce depuis le début pour l’indépendance de l’Algérie. Certains de ses militants, proches de Pierre Lambert (dirigeant trotskyste) sont très proches de Messali Hadj et œuvrent avec la majorité de la FEN, alors que d’autres soutiennent les négociations avec le FLN.
Les manifestations contre la guerre d’Algérie, dont celle du 8 février 1962, regroupent un bloc progressiste, autour de la CGT et de la CFTC, avec l’UNEF et les sections Unité et action de la FEN (Seine-et-Oise ), et enfin avec le PCF et le PSU. La majorité de la FEN, Force Ouvrière et le parti socialiste (SFIO) ne participent pas à ces initiatives. Les enjeux actuels de la commémoration du massacre de Charonne
Le massacre proprement dit vient de l’interdiction de la manifestation, classique en cette période de guerre officieuse (l’Algérie étant censée faire partie de la France, le conflit est présenté comme un problème de police, face à des « terroristes »). La manifestation avait été organisée pour protester contre les attentats de l’OAS. Les victimes sont mortes étouffées, écrasées dans le métro Charonne, lors du mouvement de foule occasionné par les charges policières. Les policiers jetaient des projectiles sur les manifestants.
Que de telles atrocités (sans oublier la censure) aient été perpétrées dans un pays démocratique depuis 120 ans pose question. Cela montre qu’un engrenage est toujours possible au détriment des libertés civiles, notamment en instrumentalisant la peur du « terrorisme ». Ce n’est pas un hasard si l’état d’urgence proclamé par Dominique de Villepin durant les émeutes de 2005 était permis par une loi datant de la guerre d’Algérie.
Laurent Frajerman Chercheur associé à l’institut de recherches de la FSU
Pour célébrer l’évènement, trois initiatives sont programmées :
Lundi 23 janvier 2012 à 17h00, débat au siège de la CGT
avec la participation d’un dirigeant de la FSU, Bernard Thibault – Secrétaire Général de la CGT, Pierre Laurent, Secrétaire National du PCF, Emmanuel Zemmour – Président de l’UNEF, Pierrick Anoot – Secrétaire Général du Mouvement Jeunes Communistes, Un représentant de la J.O.C, Henri Alleg – Militant contre la Guerre d’Algérie et grand témoin, le Comité Vérité et Justice pour Charonne …
Salle du CCN de la CGT Bourse Nationale du Travail 263, rue de Paris 93100 Montreuil
27 janvier 2012, de 11 h à 18 h : journée d’étude de l’HIMASE sur « Enseignante- s en Algérie de 1945 à 1965 »
L’Himase, (association pour l’Histoire des militants associatifs et syndicaux de l’éducation), organise cette journée d’étude à l’université Paris 8-Vincennes de St-Denis (93), amphithéâtre D 003, bâtiment D, métro Saint Denis-Université, ligne 13. http://www.himase.fr/
8 février 2012 à 12 heures : rassemblement, du Métro Charonne jusqu’au Père Lachaise.