Le principe que l’autonomie des établissements produirait une amélioration de la qualité de l’action publique en matière d’éducation reste un postulat davantage guidé par l’idéologie que par l’analyse.

L’autonomie des établissements scolaires est devenue un axe majeur des projets de réforme libérale de l’école, fondé sur le postulat que le pilotage centralisé serait, par nature, producteur des faiblesses de notre système scolaire et que, par conséquence, l’autonomie et la gouvernance locale seraient des conditions essentielles de l’efficacité de l’action scolaire publique. Depuis les années 1980, l’affirmation de la nécessité d’accroître l’autonomie s’est constituée en discours dominant, assené comme une vérité incontournable et indiscutable. Pour certains, la mettre en doute reviendrait à mépriser la nécessité d’une amélioration des résultats scolaires. Et pourtant …

Pas de démonstration des effets de l’autonomie sur la réussite scolaire

Pourtant, la littérature spécialisée est loin d’affirmer unanimement une relation de causalité entre autonomie et réussite scolaire. Le principe que la gestion de proximité serait mieux en mesure de répondre aux besoins reste un postulat davantage guidé par l’idéologie que par l’analyse. Dans une chronique radiophonique (Rue des Écoles, 13/01/2012) Nathalie Mons résumait assez clairement la position de la recherche sur la question :

"Les résultats des enquêtes empiriques n’ont malheureusement pas abouti à la démonstration du bien-fondé de la potion miracle de l’autonomie des établissements. Ces mesures augmentent les coûts, questionnent les compétences des acteurs locaux […] et donnent souvent lieu à des formes avancées de népotisme. Quant à leurs effets sur les résultats des élèves, rien de probant. Certes, dans certaines configurations, un peu d’autonomie pédagogique peut améliorer les résultats des élèves, mais, dans tous les cas, ces politiques conduisent à un renforcement des inégalités scolaires et sociales à l’école."

Les études américaines des années 1990, qui concluaient à une relation univoque qui permettrait de garantir une réussite scolaire plus assurée du fait de l’autonomie, ont été largement critiquées. Fondées sur des certitudes idéologiques libérales, elles faisaient l’économie de l’analyse pragmatique des leurs effets réels. Lorsque France Stratégie prétend, dans une note de décembre 2016, faire la synthèse de la littérature internationale en concluant que l’autonomie est positive aux seules conditions d’une évaluation nationale standardisée et d’une allocation de ressources tenant compte des besoins particuliers, elle procède d’une lecture tendancieuse. Dans leur synthèse de 2008, Jaap Scheerens et Ralf Maslowski (Revue Française de Pédagogie, n°164) se montraient plus prudents :"Compte tenu de la faiblesse des argumentsscientifiques en faveur de l’autonomie scolaire, il estdonc étonnant de constater l’expansion de ces politiques."

Les doutes de l’OCDE

Même l’OCDE qui défend pourtant l’accroissement de l’autonomie reste très prudente. Son analyse du PISA 2012 en témoigne : "Les systèmes d’éducation qui donnent une plus grande latitude aux établissements pour décider des politiques d’évaluation des élèves, de la nature et du contenu de leurs cours et de leurs manuels scolaires sont aussi ceux qui affichent des performances plus élevées en mathématiques. En revanche, le fait que les établissements aient plus ou moins de responsabilités dans le domaine de la gestion des ressources semble sans rapport avec la performance globale des systèmes d’éducation."

L’OCDE ne convient donc pas d’une causalité univoque entre autonomie et réussite. Et la suite de l’étude montre que si des corrélations positives peuvent être constatées entre autonomie pédagogique et réussite, elles sont très variables selon les pays ce qui tend à renforcer l’impossibilité de se satisfaire d’une affirmation simpliste liant le renforcement de l’autonomie à la production d’une meilleure réussite scolaire. Les établissements de Shanghai par exemple, dont les élèves ont des performances élevées en mathématiques dans le PISA 2012, ne disposent pourtant pas d’une forte autonomie et la forte autonomie des écoles du Royaume-Uni ne leur permet en rien des résultats supérieurs à ceux de la France !

Et lorsqu’une corrélation semble possible (PISA 2009), elle est associée à la publication des résultats, c’est-à-dire à un contexte concurrentiel dans lequel il reste difficile de faire la part entre les facteurs liés à l’autonomie et ceux produits par les effets d’une sélection des élèves. On l’aura compris, l’établissement de relations causales entre autonomie et réussite pose des problèmes méthodologiques. Il reste difficile d’isoler dans les facteurs contribuant à la réussite des élèves ceux qui relèvent de l’autonomie et ce d’autant que dans bien des enquêtes, c’est à partir d’éléments déclaratifs et donc, pour une part au moins, subjectifs, que s’établit le degré d’autonomie

L’autonomie peu favorable à la démocratisation des savoirs

La Fédération Wallonie Bruxelles a impulsé en 2009 une politique d’attribution de crédits différenciés destinée à soutenir les établissements dont la population scolaire avait de faibles indices socio-économiques. Les établissements disposaient d’une large autonomie tant dans le choix des objectifs, que dans l’organisation des actions ou que dans le recrutement des personnels. Une étude de Laetitia Desmet et Vincent Dupriez (GIRSEF, 2017) réalisée sur quatre établissements concernés met en évidence la très faible incidence sur les résultats des élèves et la tendance des établissements à privilégier le projet social sans véritablement prendre en compte la question des apprentissages scolaires.

Les travaux de Gilles Combaz publiés en 2007 mènent aux mêmes conclusions : l’autonomie conduit à centrer les activités sur la socialisation des élèves aux dépens des savoirs. Déjà en 2002, Gilles Combaz avait montré les effets inégalitaires des projets d’établissement.

L’autonomie, stratégie managériale

Malgré ces doutes, les think-tanks libéraux affirment sans discontinuer les vertus de l’autonomie. Mais sous les vertueux objectifs d’une meilleure réussite des élèves, affleurent les motivations profondes d’une telle orientation : l’autonomie permet d’instaurer une culture plus managériale.

Le projet de Fondapol pose clairement ses bases : l’autonomie c’est vouloir que le pragmatisme l’emporte sur l’idéologie ! Ce pragmatisme amène Fondapol à vouloir cibler la réussite des classes moyennes en organisant la différenciation des programmes pour répondre à la différenciation sociale et culturelle. C’est donc une perspective inégalitaire qui caractérise son projet reposant sur un élitisme accessible aux classes moyennes et réservant aux classes populaires des « écoles fondamentales » limitées à « l’acquisition des savoirs fondamentaux et l’acceptation des règles de vie commune ». L’autonomie y est conçue comme basée sur le renforcement du pouvoir des chefs d’établissement qu’il s’agisse de profiler les recrutements ou de définir les services des enseignants selon les projets. La marge de manœuvre est grande puisque la nature des missions pourra entraîner des recrutements contractuels « donnant finalement vocation à exercer une autre activité́, soit dans le monde éducatif, soit en dehors ou autrement ». La centralité des acteurs comme vecteur de l’autonomie reste donc en fait très relative face à un pouvoir augmenté du chef d’établissement.

Les positions de l’IFRAP ou de l’Institut Montaigne ne sont guère différentes sur la question de l’autonomie des établissements, centrées sur le développement des pouvoirs du chef d’établissement notamment en matière de recrutement des enseignants.

Cette centration de l’autonomie sur le pouvoir du chef d’établissement est clairement énoncée par les discours de la droite libérale : tous leurs candidats à la primaire de 2017 ont énoncé le pouvoir du chef d’établissement comme le fondement de l’autonomie. Les seules variations portent sur l’empan de ce pouvoir incluant ou non les décisions de promotion ou de sanction disciplinaire mais s’accordant sur le recrutement et l’évaluation.

Malgré la permanente tentative de vouloir confondre l’autonomie des établissements avec la légitime volonté des équipes enseignantes de pouvoir concerter des actions et développer des projets, il faut une bonne dose de naïveté pour le croire. Roger Fauroux avait beau parler de l’autonomie comme « un grand vent de liberté », elle est en réalité une volonté de rompre avec une culture professionnelle où la réglementation constituait le cadre d’action des agents pour lui substituer une conception managériale du pilotage de l’action publique.

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L’auteur

Paul DEVIN

Syndicaliste FSU, inspecteur de l’Education nationale, secrétaire général du SNPI-FSU, syndicat des inspecteurs (IEN et IA-IPR).

Paris – France