Luc Chatel a enfin été remplacé à l’EN.

Mais les conséquences de la réforme des lycées perdurent, et pour cause puisqu’elle est mise en œuvre par son successeur.

Ci-dessous des témoignages d’enseignants de ex-"STI" :

Synthèse de témoignages d’enseignants de STI2D

La réforme des séries technologiques STI qui sont devenues STI2D a entraîné pour les enseignants une augmentation très importante des champs d’enseignement, et à l’échelle individuelle, un grand élargissement des contenus à enseigner.

Citons les témoignages d’enseignants car c’est intéressant :

« C’est bien connu, on n’enseigne bien que ce qu’on ne sait pas et ce à quoi on ne croit pas ».

Un autre enseignant parle non pas de la réforme mais de la contre-réforme : « Depuis trois ans, la contre-réforme, (on appelle cela une contre-réforme car une réforme c’est bien autre chose que cette chose immonde que l’on veut nous faire faire,) a complètement déréglé NOTRE VIE professionnelle, familiale et notre santé »

Pour un autre, « l’enjeu de la réforme n’est pas clairement établi. C’est plutôt une révolution qu’une réforme qui donne le vertige car elle est sur tous les fronts »

Cet enseignant rajoute qu’il est impossible d’être polyvalent à la fois en génie électrique, mécanique et civil, et qu’il y a une perte importante de la qualité de l’enseignement. Il ajoute :

« Comment faire si nous devons enseigner des domaines que nous ne connaissons pas ? Comment être performant sans formation ? Comment maîtriser un autre domaine avec trois heures de formation bimensuelles durant deux ans !! Ceci n’est pas acceptable !!Que voulons-nous ? La réussite de nos élèves ? »

Et cerise sur le gâteau, voici comment un autre termine son témoignage :

« Celui qui sait… fait

Celui qui ne sait pas … enseigne

Celui qui ne sait pas enseigner… fait de la pédagogie. »

Il ressort de tous ces témoignages un sentiment de perte du sens profond du travail, et également de la liberté pédagogique, ressentie comme plus importante avant la réforme.

Il est également question du passage du concret au virtuel. Par exemple, les pièces de moteur ne sont plus façonnées ou usinées, mais les élèves les élaborent grâce à des logiciels de CAO (Conception Assistée par Ordinateur), puis utilisent une imprimante 3D pour avoir un prototype en plastique (si on le met dans un moteur, le moins que l’on puisse dire, sans vouloir faire de jeux de mots, et qu’il n’y fera pas long feu et qu’il fondra…)

Les enseignants trouvent qu’il y a ainsi une perte de sens de l’enseignement (les élèves aussi car il y a des démissions et des réorientations de l’enseignement technologique vers le professionnel pour des élèves déçus qui espéraient faire du concret). Il y a ainsi moins de TP, plus de CAO et de simulation que dans l’ancienne série STI, et il semble difficile de motiver les élèves dans ces conditions.

Outre les changements de contenus d’enseignement, il y a aussi des changements de méthodes d’enseignement, avec la notion de transversalité et de projet ce qui fait semblerait-il trop de changements à la fois :

« On demande à l’enseignant d’appliquer une réforme qui va modifier le contenu à enseigner d’une manière très importante, et l’institution prévoit logiquement en même temps de modifier les méthodes pédagogiques en installant de nouvelles notions telles la transversalité, la spécialité et la notion de projet ».

« C’est pour cela que pour l’enseignant déjà bien affaibli, nous allons lui imposer avec violence :

"-" Un changement de statut pour l’obliger à s’adapter plus rapidement en augmentant sa précarité et son sentiment d’inadapté.

"-" Appliquer une réforme radicale de son enseignement, menée au pas de charge, sans préparation ni compensation »

Enfin et surtout, dans ce témoignage intéressant :

« L’argument du changement inévitable sous peine de disparaître nous est rappelé comme un message biblique pour nous motiver et justifie toutes les violences manageriales ».

En lisant cet enseignant, on ne peut penser qu’à la théorie de la sélection naturelle de Darwin, les plus robustes s’adaptent et survivent… les autres… peuvent disparaître.

Toujours le même témoignage :

« En résumé, les suppressions de postes ; la surcharge dans les classes ; le culte du résultat, les réformes à l’emporte-pièce, faites dans l’urgence.. Tout cela met une pression supplémentaire, non prise en compte…

Attend-on des gestes irrévocables dus au désespoir ? »

Ou encore(un peu long mais édifiant) :

« Instituteur depuis septembre 1987, j’ai voulu, après quelques années, devenir professeur en génie mécanique et productique. Pour ce faire, j’ai pris des cours du soir (en parallèle avec mon métier d’instituteur) pour me mettre à niveau et j’ai décroché le CAPET en 1994. Cette petite introduction est là pour préciser que je ne suis pas devenu, par un quelconque hasard, professeur en GMP, mais qu’il s’agissait bien d’un réel choix de ma part.

TZR depuis septembre 2011, j’ai été affecté en technologie au collège de XXX de YY dés la rentrée.

Dans le document joint au mail, ce petit passage m’a fait doucement rigoler :

Les inspecteurs pédagogiques ont retrouvé le chemin des lycées et commencent à collecter des informations sur « le moral des troupes ».

Les difficultés exprimées doivent être prises en compte (…)

En effet, lors de cette année de souffrance en technologie au collège, Madame X, chargée de mission (quelle mission ??!!), est venue m’inspecter. Je lui ai clairement dit que j’espérais trouver la force de me mettre en disponibilité pour pouvoir échapper au suicide (je lui ai parlé en ces termes, et comme elle a fait mine de ne pas m’entendre, je lui ai répété la chose ). Le résultat de cette super inspection, fût un rapport tout à fait anodin (ni bon, ni particulièrement mauvais) et une nomination, dès avant la rentrée de septembre 2012 au collège de XX (super prise en compte des difficultés rencontrées !). Cela dit, mes propos n’étaient pas du vent et j’ai effectivement demandé une mise en disponibilité. Je suis aujourd’hui sans ressources, essayant de subsister par le biais d’une auto-entreprise de maintenance informatique à domicile qui m’a, pour l’instant, rapporté le chiffre d’affaire faramineux de 260€ ! »

Il est aussi question de l’apparition de trop nombreux logiciels, qui ne sont pas tous en français, mais souvent en anglais, ce qui semble poser problème aux enseignants d’un certain âge dont la première langue dans le Nord-Est, était souvent l’allemand.

Des mots qui reviennent souvent « mode survie », « épuisement », « venir travailler la peur au ventre ou le ventre serré », « usure quotidienne », arrêt de travail », « prise de psychotropes ».

« Je suis actuellement en mode survie comme beaucoup je pense, me préoccuper de mon efficacité je ne puis, je cherche juste à ne pas disparaître d’épuisement… »

« Pas étonnant que de nombreux TZR pétent les plombs. Je finirai au centre MGEN des Trois Epis. Encore 20 ans à faire ! »

« Suis actuellement en arrêt depuis septembre. La STI2D en est la cause profonde. Psychologiquement, je ne suis pas bien (peur d’être à la ramasse devant les élèves). »

« J’ai bien souvent envisagé de quitter l’EN, car mon mal-être se fait pesant dans le cadre familial, mais né en 1960 et la conjoncture actuelle morose même au Luxembourg (suite à des démarches) me laisse peu de choix… »

La souffrance au travail semble bien réelle…

La réforme des STi2D est terriblement « chronophage » pour les enseignants, il faut beaucoup se former par soit-même, trop souvent seul.

« Parlons de l’aspect chronophage de cette réforme, car je pense que c’est une des autres causes qui font ressentir au prof l’impression d’être constamment à la limite de la noyade »

« Je bosse jusqu’à 1h du matin tous les soirs et me réveille à 6h30 donc les nuits sont courtes, à ce rythme, je ne vais pas durer longtemps ! J’ai l’impression de préparer un nouveau concours ! »

« Nous pensons STI2D, nous préparons SIi2D (semaines, week-end, vacances), nous avons l’impression de ne plus vivre ! »

Les formations proposées ont lieu en dehors des horaires normaux des enseignants, il n’y a aucune décharge horaire prévue pour ce travail supplémentaire. La formation nécessaire se fait sur le temps libre des enseignants.

Les formations proposées sont visiblement insuffisantes.

« Les formations apportent quelques infos, mais je les trouve trop théoriciennes »

« Les journées de formation et non d’information, car rares sont les formations intéressantes »
Les visioconférences ne semblent ni très adaptées, ni très appréciées.

« Les formations proposées ne me réconfortaient pas, surtout au niveau des FOAD »

« Les formations en FOAD sont inadaptées, superficielles et trop rapides. »

« Soyons positif, certaines formations se font dans des conditions tout à fait novatrices,
devant un écran de rétroprojection, qui nous projette des diapos illisibles, sur un thème choisi au hasard, avec un individu, vaguement connu qui commente ses fameuses diapos sans savoir si les interlocuteurs sont réceptifs et même sans savoir si le son de ses paroles est bien audible. A sa décharge, comme il ne nous voit pas non plus, il ne sait donc pas que c’est illisible et inaudible.
A ce stade nous sommes conscient que l’initiative était louable dans les intentions, mais nous sommes un peu surpris par le manque de sagacité de ceux-là même qui nous donnent des leçons de pédagogies à longueur d’année, pour ne pas avoir un peu imaginé le manque de probabilité de réussite de cette pédagogie originale pour le moins. Je suis conscient qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de nous montrer leur compétence à cause de leur fonction, ils avaient donc là l’occasion pour une fois de nous démontrer leur légitimité intellectuelle, je suis bien triste pour eux.

Mais à n’en pas douter l’échec de cette pédagogie n’est certainement pas imputable aux initiateurs, mais certainement aux individus volontaires qui ont certainement dû de leur plein gré se lancer dans cette aventure.

Maintenant, tout homme censé qui se lance dans une initiative de cette originalité vérifie rapidement si les effets escomptés sont obtenus, et là pour nous aucun doute la réussite n’est nullement au rendez-vous, et nous avons dès les premières séances montré les effets désastreux de cette initiative chronophage, mais a-t-on cherché à estimer la performance de ce processus pédagogique, j’en doute, car il n’y à pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Mais là ou l’on sent que les limites de l’inconvenant sont largement dépassés, c’est que l’on n’arrête nullement cette initiative malheureuse, bien au contraire, on reconduit, on menace, on vous fait signer une feuille d’émargement intimidante avec menace sous entendu…. Quelle tristesse…. Quel message pédagogique…. »

Cet enseignant est plus positif sur les formations en présentiel :

« Ah je suis injuste, il y a eu des formations dites « présentielles », comme s’il pouvait y en avoir sans présence…. Parlons-en…. »

« Quant au contenu, le savoir et le processus pédagogique complexe (transversalité, spécialités, projets, examens du bac) et l’utilisation de logiciels sont les principaux objectifs que se sont fixés les formations. Le présentiel sur certains points a été efficace et motivant, que ce soit d’un point de vue contenu de savoir, aide pédagogique ».

Nous avons déjà vu un témoignage d’un enseignant TZR affecté en technologie en collège en souffrance.

En voici un autre TZR, un cas à vrai dire assez ubuesque :

« La réforme de la filière STI2D n’est déjà pas facile à prendre en compte pour un titulaire de poste fixe. Mais en plus de cela, je fais de la technologie en collège sur un demi-poste. Un jour remplacement avec des BTS, le lendemain des STI2D et en plus du collège avec les 4 niveaux. »

Effectivement, il semblerait que l’institution lui demande beaucoup.

C’est lui qui termine son témoignage par :

« Pas étonnant que de nombreux TZR pètent les plombs. Je finirai au centre MGEN des Trois Epis. Encore 20 ans à faire ! »

Cette réforme a amené des enseignants à passer de l’enseignement technique, en lycée professionnel ou en collège en technologie (visiblement pas toujours sur la base du volontariat…), où ce sont d’autres élèves, un autre métier, une autre gestion de la classe.

Certains ont passé des CAPET justement pour ne pas enseigner en collège ou en LP, mais en lycée technologique.

Enfin, les enseignants qui étaient surtout en BTS, qui sont habitués à l’autonomie des jeunes adultes, découvrent un autre métier avec des élèves des secondes plus immatures et moins autonomes que les étudiants de BTS.

Hélène Bertholin-Petit

Secrétaire titulaire du CHSCTA

SNASUB-FSU