En réaction aux propos du Front national sur la question.
Le Front National réaffirme que le fonctionnaire doit obéir, qu’il doit être l’instrument docile d’une politique. Et, répondant à un enseignant qui l’interrogeait sur France Inter (Questions politiques 30/04/2017), Nicolas Bay, secrétaire général du FN prétend le dire au nom du respect de la démocratie ! Le fonctionnaire n’aurait d’autre choix et toute opposition devrait être suspectée de contrevenir aux principes mêmes de la fonction publique en démocratie. Les conceptions totalitaristes du pouvoir s’argumentent toujours par le simplisme absolu et par l’apparente évidence qu’il prétend donner à leurs principes. Il faut résister à ce simplisme absolu qui résumerait la relation entre la décision politique d’action publique et sa mise en oeuvre par la simple éxécution d’ordres et l’obéissance des fonctionnaires.
Alors qu’il défendait, devant l’Assemblée nationale en 1792, les conceptions d’une organisation de l’Instruction publique, Condorcet affirmait qu’ "aucun pouvoir public ne pouvait avoir l’autorité, ni même le crédit d’empêcher l’enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés". C’est une indépendance que Condorcet revendiquait pour fonder l’école en démocratie. Entendons-nous bien, je ne défendrai certainement pas la vision d’un service public qu’on laisserait dominer par l’arbitraire de chacun de ses agents. Si Condorcet réclamait que le pouvoir politique ne puisse soumettre l’enseignement à son autorité, il n’en défendait pas moins que la volonté politique en prescrive les buts, ceux de l’effectivité d’une égalité voulue par la loi. Nul doute qu’il appartienne à la représentation nationale de décider la politique éducative et que la mission des fonctionnaires soit de la mettre en œuvre mais le principe de cette subordination démocratique ne peut se résumer par une instrumentalisation de la fonction publique au service d’une politique gouvernementale. C’est ce principe même qui guide la définition légale des droits et des obligations des fonctionnaires, dont il faut rappeler que Le Pors ne voulut pas que le terme d’obéissance y figure. Contre ceux que tente le simplisme autoritariste, la loi française a construit une perspective dialectique où les droits et les obligations offrent la possibilité d’une tension nécessaire à la démocratie. Je sais combien l’acculturation des cadres aux méthodes managériales ou l’autoritarisme de certains a pu pervertir ce principe. Mais il n’en reste pas moins vrai qu’il constitue encore la base légale des relations entre les fonctionnaires et l’organisation hiérarchique du service public et que cette base légale garantit au fonctionnaire ses droits de citoyens.
L’autre raison fondamentale qui interdit l’énoncé simpliste de l’obéissance comme mode de gouvernance, c’est que l’action publique repose sur la compétence professionnelle des fonctionnaires et que la complexité de leurs tâches ne pourra jamais se réduire à la simple exécution de consignes sauf à renoncer à l’efficacité de l’action publique. Car vouloir prescrire une action et contraindre les enseignants à l’appliquer est la négation même de ce qu’est l’acte professionnel d’enseigner : la lente et complexe construction intellectuelle sur laquelle se fondent les choix de l’action professionnelle. C’est pourquoi toute confusion entre la responsabilité professionnelle et le choix politique ne peut que produire des effets délétères sur la qualité de l’action publique.
Enfin, il faut dire aussi que l’histoire nous a conduits à ce que la désobéissance du fonctionnaire puisse être une nécessité morale. Je ne donne aucune vertu intrinsèque à la désobéissance mais cela ne doit pas conduire à oublier qu’elle a été parfois la condition même de l’existence de la démocratie.